Les murs centenaires du palais de Westminster n’avaient jamais vu ça. Une majorité fracturée. Des élus aux opinions contraires prêts à se rejoindre contre l’exécutif. Et face à eux, dans l’arène, une Theresa May vacillante et isolée qui tente, depuis ce jeudi, de lâcher du lest pour convaincre les plus réticents que son texte, qui acte le divorce du Royaume-Uni avec l’Union européenne, est le meilleur. Et de convaincre une majorité de parlementaires de le voter mardi prochain, sans quoi le spectre d’un « No Deal » aux conséquences potentiellement catastrophiques prendrait corps. « Ça devient presque une crise constitutionnelle, analyse Iain Begg, chercheur à la London School of Economics. Parce que le parlement est opposé au gouvernement. » La Première ministre traîne à ses pieds, depuis l’ouverture des cinq jours de débats mardi, trois boulets. Trois votes perdus devant une salle si comble que les parlementaires n’avaient plus de place où s’asseoir sur les banquettes vertes. Mardi noir Le premier vote, mardi à 16h25, a vu les députés trancher : le gouvernement de Theresa May devra dévoiler l’avis juridique sur l’accord. Un document explosif : selon ce texte, le Royaume-Uni resterait lié à l’Europe bon gré mal gré, via la solution de rechange pour l’Irlande. Pas de rupture franche, donc pas vraiment de Brexit aux yeux de nombreux détracteurs du deal conclu avec l’Union européenne. « Pour la première fois en treize ans, je ne peux pas soutenir mon parti, regrette le député et ancien ministre tory (conservateur) Mark Harper. Les promesses doivent être tenues. » Theresa May se voit donc lâchée par ses plus loyaux soutiens. Et ne peut pas compter sur ses alliés nord irlandais : les unionistes du DUP ont fait équipe avec l’opposition travailliste pour réclamer un deuxième vote. Deuxième test manqué pour l’exécutif, donc, mardi 16h41. Pour la première fois de l’Histoire, le gouvernement est reconnu coupable d’outrage au Parlement. Il aurait dû dévoiler cet avis juridique volontairement, sans y être forcé. Le texte ne séduit personne Vers qui peut désormais se tourner la Première ministre ? Même son parti lui fait défaut. À l’issue d’un troisième vote perdu, mardi à 17h28, un amendement conservateur permet aux députés de prendre les commandes si l’accord était rejeté. Le Parlement pourrait alors imposer un plan B : nouvelles négociations avec Bruxelles ou nouveau référendum. Et outrepasser le gouvernement de Theresa May. Ces trois votes perdus en début de débat, mardi, ont dessiné la discussion en cours et donné une idée du vote à venir. Les méthodes de la cheffe du gouvernement déplaisent, son texte ne séduit personne. Ni les proeuropéens, ni les partisans du Brexit comme Boris Johnson. « Ce texte fait de nous une colonie européenne de facto », a argumenté ce jeudi l’ancien maire de Londres, leader de la campagne pro-Brexit en 2016. Une centaine de membres du parti pourraient manquer au moment du vote mardi. Et aucune chance que les travaillistes se mobilisent pour sauver l’accord « mauvais pour le Royaume-Uni, pour notre économie et pour la démocratie », a résumé le chef de l’opposition Jeremy Corbyn. Le va-tout de la Première ministre Ce jeudi, c’est une May très affaiblie par les oppositions de tous bords qui a fait un geste pour amadouer les réfractaires de son camp. Avec, au cœur de la bataille, la question de la frontière nord-irlandaise. La dirigeante conservatrice a assuré que les députés pourraient avoir le dernier mot sur l’activation éventuelle d’une disposition évitant le rétablissement de contrôles frontaliers sur l’Irlande après le Brexit. En clair, le retour de garde-frontières -quitte à fragiliser le processus de paix conclu il y a vingt ans- pour éviter que l’Irlande du Nord ne reste arrimée, au moins d’un point de vue douanier, à l’UE. LIRE AUSSI >Pourquoi l’Irlande du Nord est au cœur de l’accord sur le Brexit Mardi, Theresa May pourrait bien échouer face aux députés. Elle aurait alors 21 jours avant de revenir devant le Parlement avec une nouvelle proposition. Peu vraisemblable, puisque Bruxelles ne compte pas bouger sur l’accord passé après des mois d’âpres négociations.